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Fabrice Pouliquen
27/01/20
DEPLACEMENTS
Sur les mobilités du quotidien, on remet rarement en
cause nos habitudes de transports pour tester de nouveaux modes de
déplacement, constate Mathieu Chassignet, ingénieur mobilité à l’Ademe.
Mais la grève dans les transports a-t-elle bousculé nos routines ?
Après un mois et demi de perturbations dans les
transports parisiens, et même si le trafic revient peu à peu à la
normale, êtes-vous revenus à vos anciennes habitudes de mobilités ?
20 Minutes a posé la question à ses lecteurs cette semaine.
Parmi les réponses, celles de Julien, Alexandre,
Eric, Lydie ou Gabrielle, qui racontent avoir été contraints de se
mettre au vélo, à la trottinette ou à la marche pendant la grève, et
qu’il n’était plus question d’en revenir.
C’est une des conséquences indirectes d’une grève des
transports. Elle nous pousse à revoir nos mobilités. Quels modes de
transport en ont le plus profité ? Et lesquels ont été le plus
appréciés ? Le cabinet d’étude 6-t s’est penché sur le sujet.
« Merci la grève ». Le commentaire peut surprendre,
mais c’est bien à ce constat qu’arrive Lydie, Francilienne qui a
répondu à l’appel à témoignages lancé par 20 Minutes mardi dernier.
Lydie n’a pas répondu pour elle, mais pour son fils qui travaille
porte de Clichy, à 2,5 km de son domicile, dans le quartier de la
gare Saint-Lazare. Une distance qu’il a parcourue à pied durant tout
le mois de décembre. « Il a perdu cinq kilos », indique-t-elle.
L’expérience lui a plu. Alors que le trafic revient
peu à peu à la normale, depuis une semaine et demie, il continue
aujourd’hui d’aller à pied au travail, assure Lydie.
« Redécouvrir Paris »
Julien n’a pas non plus rangé le vélo au garage, même
si le trafic sur la ligne 12 a repris. « J’habite à Aubervilliers et
je travaille dans le secteur de la bibliothèque François-Mitterrand
(13e), raconte-t-il à 20 minutes. Pendant un mois, j’ai pris
l’option "vélib". Je me suis aperçu que c’était plus rapide et que
le parcours, qui longe plusieurs canaux, était super sympa. » Il
continue aujourd’hui, avalant 20 km par jour. « Je suis en meilleure
forme physique et, surtout, je profite du paysage. »
Alexandre est tout aussi conquis par le « vélotaf ».
Il a 9,7 km à parcourir pour rejoindre son travail, un trajet qu’il
faisait habituellement via la ligne 9 du métro, en 45 minutes. « Dès
le premier jour de grève, j’ai utilisé mon vélo, un VTT classique,
précise-t-il. J’ai gagné dix minutes sur le trajet. » Et dix minutes
supplémentaires, depuis les fêtes de fin d’année, après avoir
commandé au père Noël un vélo électrique.
La trottinette a également fait des adeptes. Comme
Eric, qui dit avoir redécouvert Paris. Mais aussi Chris, qui voulait
réduire sa dépendance aux transports en commun et « n’est plus
motivé aujourd’hui à l’idée de retourner dans les souterrains du
métro ». Ou encore « Long Ly » qui entend dorénavant privilégier la
trottinette électrique pour aller du 19e arrondissement, où il
habite, à Suresnes, où il travaille. « Le temps de trajet est quasi
constant, entre 40 et 45 minutes », apprécie-t-il. Une fiabilité
dont a aussi besoin Gabrielle, infirmière au bloc. Elle prendra elle
aussi la trottinette, désormais. « Je ne peux pas me permettre
d’être en retard tous les jours, ce qui arrivera si je me fie aux
prévisions erronées quotidiennes de la RATP », fustige celle qui
prenait jusque-là le bus.
« Un élément perturbateur qui bouscule les
habitudes »
C’est l’une des conséquences indirectes d’une grève
des transports. « Sur les questions de mobilité, le poids de la
routine est très important, explique Mathieu Chassignet, ingénieur
mobilité à l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de
l’énergie) Hauts-de-France. Sur les trajets du quotidien, on a tous
nos habitudes de transports et, s’il n’y a pas un élément
perturbateur ou déclencheur, on les remet rarement en question. »
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Un déménagement, la mise en place d’indemnités en
faveur des mobilités douces, un jour de neige font partie de ces
éléments déclencheurs (lire l’encadré), liste Mathieu Chassignet.
Une grève des transports peut aussi jouer ce rôle. En témoigne le
nombre de cyclistes recensés au cœur de la grève sur les pistes
cyclables. Sur la semaine travaillée du 9 au 13 décembre, au plus
fort des perturbations, 2,6 fois plus de cyclistes ont été totalisés
par les 55 bornes de comptages parisiennes que sur une période
semblable, avant le début du mouvement, indiquait vendredi l’AFP.
Soit, environ 190.000 vélos – particuliers ou partagés (type Vélib')
– recensés sur le macadam parisien, chaque jour travaillé.
Focus sur la journée du 9 décembre
En témoigne aussi l’enquête de 6-t publiée vendredi.
Le bureau d’études, spécialisé sur les questions de mobilité, s’est
focalisé sur le lundi 9 décembre, journée marquée par une forte
perturbation dans les transports en commun et 600 km d’embouteillage
en Ile-de-France entre 7h et 9h30. Pendant une semaine, 6-t a sondé
un échantillon de Franciliens sur la façon dont ils se sont adaptés
à ces perturbations. Et comment ils les ont vécues.
Mille soixante-deux réponses ont été passées en
revue. Premier constat : malgré les perturbations, « la majorité des
actifs se sont rendus au travail ce lundi-là, indique Léa Wester,
cheffe de projet à 6-t. C’est le cas pour 72 % des personnes
interrogées, tandis que 12 % ont opté pour le télétravail, et les 16
% restant n’ont pas travaillé. »
Sans surprise, ce sont les usagers habituels des
transports en commun qui ont dû le plus revoir leur mode de
transport. Au sein du groupe sondé, la part modale des transports en
commun est passée de 52 % habituellement à 31 % le 9 décembre. Parmi
ceux qui n’ont pas pris les transports en commun ce lundi-là, alors
qu’ils le prenaient habituellement, « 17 % ont opté pour la marche
et 11 % pour la voiture personnelle », note Léa Wester. Ce sont les
deux modes qui ont le plus profité du report modal. Ils n’étaient «
que » 6 % à se reporter vers le covoiturage et 4 % sur le vélo.
Essayer le vélo, c’est l’adopter ?
De quoi relativiser l’idée selon laquelle les
mobilités douces – et principalement le vélo – seraient les grands
gagnants de cette grève contre la réforme des retraites ? « Notre
étude ne porte que sur une journée », nuance Léa Wester. Surtout,
6-t s’est penchée sur le bilan que tiraient de leurs expériences
celles et ceux qui avaient testé pour la première fois un nouveau
mode de transport le 9 décembre. Parmi ceux qui ont testé le vélo,
59 % disent qu’ils pourraient être amenés à réutiliser ce mode pour
un trajet domicile-travail, largement en tête du classement sur ce
volet. Ils sont 35 % à se dire prêt à réitérer l’expérience pour le
covoiturage, 22 % pour la marche à pied… et seulement 14 % pour la
voiture personnelle.
Mathieu Chassignet parle alors de l’effet «
l’essayer, c’est l’adopter », qui profite notamment au vélo. « Nous
l’avons plusieurs fois constaté à l’Ademe, précise-t-il. Notamment
au sein des entreprises qui ont mis fin à l’indemnité kilométrique
vélo après l’avoir testée. En moyenne, la moitié des salariés qui
s’étaient mis au vélo conserve ce mode de transport, même lorsque
l’indemnité cesse. Même constat avec les challenges de la mobilité
que l’Ademe organise chaque année, sur une journée ou une semaine,
suivant les régions. L’idée est d’inciter, sur ce laps de temps, à
changer les habitudes de transports sur les trajets du quotidien. Et
ceux qui ont opté pour le vélo conservent plus facilement ce mode de
déplacement une fois le challenge terminé. »
Une grève aux effets limités ?
Cette grève aura-t-elle le même effet ? « Il faudrait
une seconde étude pour y répondre », glisse Léa Wester. Mais si
impacts il y a, ils seront forcément limités. Ne serait-ce que par
le fait que cette grève a surtout perturbé l’Ile-de-France, là où
l’essentiel des trajets en train est réalisé, rappelle Olivier
Razemon, journaliste spécialiste des transports, sur son blog «
L’interconnexion n’est plus assurée », hébergé sur Lemonde.fr.
Et même dans la région capitale, cette grève n’a pas
affecté tout le monde. « J’habite en campagne seine-et-marnaise,
illustre Cyrille, qui a répondu à notre appel à témoignages. Il n’y
a aucun transport en commun à proximité de chez moi. La voiture est
donc le seul moyen à disposition pour parcourir les 35 kilomètres
qui me séparent de mon travail. » C’est d’ailleurs un autre
enseignement de l’étude 6-t. Ce sont les habitants de la première
couronne qui ont été le plus affectés par les perturbations le 9
décembre. Ils ont perdu presque trente minutes, en moyenne, sur leur
temps de parcours habituel. Contre vingt minutes pour les résidents
parisiens et les habitants de la grande couronne.
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