J'ai écrit ce récit pour
essayer de montrer ce que nous vivons les dimanches sur notre vélo.
Ce jour
là, nous avons décidé de nous rendre sur le lieu de départ en voiture. Ce n’est
pas habituel. C’est un peu une corvée. Nous préférons enfourcher nos vélos à
partir de Villiers.
Mais
aujourd’hui, le départ est à 30 km. Si nous avions choisi le vélo, nous aurions
été contraints de faire le petit circuit à Dourdan.
Nous avons
envie d’explorer des routes loin de chez nous. C’est ce que permet ce départ
‘lointain’.
Il fait
vraiment beau. Cela promet une belle sortie.
Le
départ
Au départ,
nous retrouvons Philippe et Jean Claude de Méréville. Il est 7 h 40 et nous
voyons bien que beaucoup de groupes doivent être déjà partis.
Le rite
habituel est respecté : nous remplissons la petite feuille et nous allons nous
inscrire au 90 km. Au moment de payer, je tends ma carte bleue ! Sourire !
Puis je
bois un fond de café. Pour moi, c’est exceptionnel. Je ne suis pas très bien
réveillé et le trajet en voiture m’a un peu étourdi. Dopage ?
Parfois,
lorsque nous sommes très peu nombreux, nous essayons de nous intégrer dans un
club. C’est ça qui est bien dans les rallyes. Nous pouvons rouler avec d’autres.
Mais ce matin, nous sommes six du C.O.V. et nous allons suffire à nous même !
L’Essonne
et les Yvelines sont des départements merveilleux pour le cyclotourisme. J’ai
beaucoup voyagé et pourtant à chaque fois que je reviens cycler dans ma région,
j’ai cette réflexion.
Les
organisateurs ont décidé de nous faire prendre le cap Sud. Cela nous convient
parfaitement : nous allons être dépaysés.
Les
premiers kilomètres
Les matins
sont toujours délicieux quand le soleil est généreux. Il fait frais. Nous sommes
vraiment heureux d’être sur notre vélo et d’avoir chaque dimanche ces instants
précieux.
C’est Jean
Claude qui mène le train. Le corps doit s’échauffer. Nous ne sommes plus jeunes
et nous n’avons aucune envie de partir sur les chapeaux de roues !
Tous les
cyclotouristes de la région connaissent Marchais. C’est un petit village en dehors de
tout. Les circuits passent souvent par là car dans les rallyes de l’Essonne, une
chose est bien établie : celle de nous faire rouler sur des petites routes et de
fuir les grosses !
Nous
gravissons plusieurs côtes. Dans notre département, les fonds de vallée sont à
70 m et les plateaux à 140 m. Ceci à pour conséquence des côtes jamais très
longues et donc des écarts peu importants au sommet.
Dans le
temps, chaque côte était prétexte à des batailles ! Maintenant, je surveille mon
cardio et je pense à garder des forces pour la fin !
Nous
montons à un rythme assez soutenu. Quand je roule seul, j’ai souvent tendance à
flâner. Là, le phénomène du groupe nous pousse à rouler un ton au dessus ! Et
c’est tant mieux !
En haut,
je coupe l’effort pour attendre Thierry qui manque d’entraînement. Il ne met pas
longtemps pour revenir. Je lui conseille de monter à son rythme pour ne pas
gaspiller ses forces à vouloir nous suivre dans les bosses.
Les
lumières du matin
La lumière
est belle et intense. Sur le plateau, le soleil est rasant. Les ombres sont
gigantesques. Je pose une question à Christian : « le matin, les ombres
sont-elles plus longues que le soir ?! »
Les
plateaux sont coupés par de magnifiques vallées.
Nous
arrivons à Boutervilliers. D’habitude, c’est dans l’autre sens que nous passons
avec cette fameuse côte au bout. Christian me le fait remarquer. Aujourd’hui,
notre cerveau est plus réceptif car nous n’avons pas eu d’effort à fournir pour
arriver dans ce village.
Dans la
descente, je passe en tête et je crie : « poussez à droite pour tourner à
droite ». Je ne suis pas sûr d’avoir été entendu !
Encore
trop de cyclotouristes ignorent le braquage inverse et tourne sans trop savoir quoi
faire dans les virages. J’ai cette image du triathlon des jeux olympiques
d’Athènes 2004 où l’on voit cette américaine qui dans un virage rapide fonce
dans les balustrades... Visiblement, elle ne comprenait pas ce qui lui
arrivait...
Les
pelotons
Notre
groupe s’est agrandi. Nous avons rattrapé deux cyclotouristes et un autre s’est joint à
nous. C’est vraiment sympa : nous sommes tous dans le même accord. La pratique
d’un sport permet cela : on ne se connaît pas mais on peut partager un moment de
vie.
Celui qui
est devant à une belle allure. On sent qu’il pédale avec facilité. Son compagnon
est moins à l’aise. Celui qui est derrière a une attitude modeste. Il ne cherche
pas à nous doubler. Ce qu’il veut, je suppose, c’est de ne pas rouler tout seul.
A Chalo-St.
Mars, nous retrouvons la vallée de la Chalouette. Une route vraiment ravissante
avec des belles demeures et des jardins magnifiques près de l’eau. C’est une
route qui me rappelle toujours mes débuts avec ma femme. Nous étions passés par
là lors de notre premier voyage à vélo : trois jours !
Nous
roulons à environ 29 à l’heure. J’utilise un braquet de 6,50 m. Mon cardio est à
145 : la vie est belle ! Le vélo léger, avec sa facilité de déplacement,
nous permet de garder cette allure très longtemps.
Comme
l’effort est modeste, ma réceptivité est au maximum et je me régale des
paysages. Il faut quand même faire attention aux autres et à tous les dangers de
la route. Mais le cerveau a la faculté de saisir et de traiter des milliers
d’informations en un temps extrêmement court.
Quelques
kilomètres plus loin, un VTTiste nous dépasse ! J’observe son vélo et surtout
ses pneus : à crampons ! On sent qu’il fait un très gros effort pour arriver à
cette vitesse. Un effort qu’on ne peut jamais tenir trop longtemps. Dans le
groupe, il y a une petite réaction mais sans plus. Wait and See ! Et puis notre
doubleur s’engouffre dans un chemin et disparaît aussi vite qu’il était venu...
Pour jouer
à armes égales dans nos groupes, il faut posséder un vélo léger ou être très
fort. A 25 km/h, tous les vélos conviennent. A 30 km/h, cela devient plus dur. A
35 km/h, c’est mission impossible.
Lors de ma
première sortie avec le club de Villiers, j’avais utilisé ma
randonneuse 650 avec la sacoche. J’étais arrivé à suivre mes nouveaux compagnons
mais j’avais bien senti qu’il fallait que j’adapte mon matériel très vite !
D’ailleurs, je me souviens qu’ils avaient regardé ma machine avec curiosité et
que cela leur rappelait des souvenirs de leurs anciennes randonneuses.
Les
côtes
Au bout de
la vallée de la Chalouette, il y a deux côtes.
Nous
aimons l’effort, c’est certain. Et quand il y a une difficulté, nous essayons de
nous surpasser. Le cœur, la respiration s’accélèrent : le cerveau réagit à cette
sollicitation brutale. Car il faut bien le dire, à cet effort parfois violent,
notre corps n’y est pas toujours bien préparé. Nous ne sommes pas des
compétiteurs !
Je me
contente de suivre. Ce qui est pour moi un signe de sagesse !
Chalou
arrive avec sa jolie église rénovée. Le soleil l’illumine. Un panneau posé à
droite sur le bas-côté nous avertit d’un danger : gravillons ! Effectivement, en
bas, c’est vraiment dangereux. Un piège de la route qu’il ne faut pas négliger.
Mais il faut bien reconnaître que l’état des routes est la plupart du temps
vraiment excellent. Un vrai billard, comme on dit !
Et la
voilà, cette deuxième côte. Je sens que mes compagnons n’ont pas encore vraiment
‘digéré’ la précédente. Je me mets en danseuse, j’accélère et j’arrive en tête.
Bon d’accord, il ne faut pas rouler par amour-propre. Mais nul n’est parfait. Et
puis, je vais quand même pas me priver d’un petit bonheur !!!
Le
ravitaillement
Le premier
ravitaillement est là. Je pose mon vélo sur l’herbe. Il y a toujours un truc que
je n’aime pas dans ces cas là : c’est marcher dans la terre car après j’ai du
mal à enclencher mes pédales. Aujourd’hui, c’est sec. Tant mieux !
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Nous nous
dirigeons vers la table où un cyclotouriste de Dourdan tamponne. Je lui demande si c’est
obligatoire. Il me répond que « non » ! A-t-on vraiment besoin d’une preuve de
passage ?
J’ai des
kilos en trop, comme tout le monde. Lorsque nous faisons des sorties club, j’ai
pour habitude de prendre deux barres en plus de ma boisson sucrée. Sur une
sortie de quatre heures, cela suffit.
Dans les
rallyes, les organisateurs nous gâtent de trop ! Et nous succombons à la
gourmandise : fruits secs, biscuits, pommes, pain d’épice, boisson sucrée et
chocolat !
Aujourd’hui, j’ai décidé de ne pas me goinfrer. Je suis raisonnable.
Le
groupe
Nous
abordons la Beauce et ses petites routes désertes. La température augmente
doucement.
Nous nous
relayons pour rouler devant au gré de nos envies. Rien de bien organisé. Nous
roulons avec d’autres cyclistes. L’allure est soutenue. Le paysage est plus
monotone. La vie du peloton devient plus présente.
Philippe
augmente l’allure. Bien sûr, tout le monde fait la même chose. Philippe cherche
toujours à progresser. Et s’il accélère, ce n’est pas pour lâcher les copains.
Il s’en moque. C’est juste pour ‘faire travailler son corps’.
Et nous
traversons Saclas pour rejoindre la vallée de la Juine. C’est cette multitude de
petites rivières qui traversent le département de l’Essonne qui en font son
charme et ses difficultés.
Je taquine
Jean-Claude, habitant de Méréville, dans la côte qui mène à sa petite ville.
J’ai bien vu qu’il accélérait un peu pour rattraper Eric. Je lui dis : « C’est
toi le régional de l’étape ! »
Eric, lui,
est trop modeste. Cela fait 21 ans qu’il roule dans notre club. Et il est
vraiment costaud, Eric. Souvent en tête, jamais lâché. Le vélo, c’est sa vie.
Mais lui, il en a encore plus besoin que nous tous !
Christian,
lui aussi, est généreux. Il n’hésite pas à prendre la tête et quand il est
devant, ce n’est pas pour ralentir !
Maintenant, nous roulons avec d’autres clubs. En faisant les rallyes, nous
vivons mille vie. Au cours de la randonnée, les groupes se font et se défont.
Maintenant, nous avons rattrapé le club d’Angerville. Ils sont chez eux. Il y a
des femmes.
L’humain
prédomine toujours tout. C’est comme ça. Dans les pelotons, il y a de la vie.
Nous aimons ces moments là.
Quand je
roule seul, je suis très contemplatif. Je m’imprègne des paysages, de la nature,
de la lumière, des couleurs, des senteurs. Je suis un fouineur. Je roule avec ma
carte et j’essaye de toujours trouver une nouvelle route, un nouveau sentier
encore inconnus. Et toute nouvelle découverte engendre du bonheur.
Nous
doublons deux cyclotouristes qui ont fait le choix d’un équipement plus complet
(sacoches, porte-bagages et garde-boue). Leur allure est plus lente. Je ne
connais pas leur état d’esprit quand ils nous voient. Pensent-ils que nous
sommes des grosses brutes avec nos vélos de course ou sont-ils assez ouverts
pour accepter les différences ?
Ce n’est
pas le vélo qui fait le cyclotouriste. C’est son cerveau !
Le
vent
Nous avons
changé de cap. Direction l’Ouest. Le vent est très violent. La physionomie de la
randonnée change. Nous nous installons dans l’effort. Les costauds passent
devant, non pour lâcher les copains, mais pour se mettre au service des autres.
Le club de
La Forêt le Roi nous rattrape. Il y a également des femmes. Les hommes sont
toujours attirés par les femmes ! Je pense qu’ils vont prendre la tête et puis
non. Leur groupe se disloque. Ils s’appellent. Peut être attendent-ils un de
leurs membres ?
Nous
continuons donc. Un moment nous suivons les cyclotouristes d’Angerville. Mais je trouve
qu’ils roulent à un faux rythme pour nous. Je passe devant sans donner une trop
forte accélération. Comme ça, s’ils le désirent, ils pourront profiter de
l’abri.
Rouler
contre le vent, c’est plus difficile que monter une côte. L’effort est très
important et il est long. Nous maintenons une vitesse de 27 km/h mais le cardio
montre bien qu’on ne s’amuse pas. Notre corps et notre cerveau sont
mobilisés dans cet effort. Le savoir faire du groupe permet d’avancer à cette
allure alors que les cyclotouristes tout seul sont à la dérive. Nous en doublons et nous
les encourageons à se fondre avec nous.
D’ailleurs, Thierry qui manque de kilomètres est lâché. Nous le retrouverons au
prochain ravitaillement.
Les
cyclotouristes
de La Forêt le Roi nous rattrape une seconde fois. Cela veut dire qu’ils ont
roulé plus vite que nous contre ce vent violent. Ils sont un ton au dessus de
nous. Les femmes paraissent très fraîches alors que je préfère ne pas me
regarder dans une glace !!!
Le
2° ravitaillement
Au
ravitaillement, ils sont vraiment euphoriques. L’effort qu’ils viennent de
produire pour nous rattraper les a rendus vraiment heureux ! Ils ont le
sentiment d’avoir réalisé quelque chose ! Pas une prouesse, non, juste le
plaisir d’être allé au maximum de leur possibilité.
Mes bonnes
résolutions se sont évanouies. J’avale de tout. Mais je me dis qu’après cet
effort, mon corps en a bien besoin !!!
Je discute
avec un cyclotouriste qui a un rétroviseur. Je cherche le modèle idéal pour ma femme. Il
me dit que le sien est vraiment bien. J’avais vu la photo de l’accessoire dans
la revue ‘Cyclotourisme’. Bien sûr, la discussion dévie vers le vent. Il me dit
qu’il a roulé tout seul. Je lui ai répondu que parfois, il vaut mieux s’arrêter
complètement et attendre un groupe plutôt que de s’épuiser seul.
Yves, de
notre club de Villiers, nous a rattrapé. Il part toujours après nous. Yves,
c’est un électron libre. Il n’a pas vraiment besoin du groupe. Mais il doit
avoir besoin d’appartenir à un groupe. Il faut de tout pour faire un monde.
La Beauce
Nous
laissons partir les costauds. Nous sommes à nouveau tous les six.
J’observe
la position sur le vélo de mes amis. Ils sont rarement en bas du guidon. A part
dans les descentes. Mais contre le vent, ils sont à 45°. Moi, malgré mes
problèmes de cervicales, j’y arrive bien. J’ai fait les trois-quarts d’un Paris
Brest Paris les mains en bas du guidon à cause de problèmes de selle !
Nous ne
ressemblons pas à des coureurs. Pas du tout ! Sauf Thierry. Alors, lui, il a un
beau style, comme on dit. Vous savez, comme Jacky Durand. Le dos plat et à
l’horizontal ! Et ça se sent qu’il fait moins d’effort que les autres contre le
vent.
Aux
carrefours, nous sommes toujours à la recherche visuelle d’une flèche qui va
nous indiquer la route à suivre. Le premier qui la trouve prévient les autres.
« A gauche, à droite ».
Mais
maintenant, les cyclotouristes commencent à être fatigué et l’attention tombe. Du coup,
nous avons raté une flèche. Heureusement, Jean Claude connaît très bien ces
routes qui pour nous sont un peu inconnues dans ces coins perdus de la Beauce où
tous les villages se terminent par le mot « ville ».
Le
vent favorable
Quatre
kilomètres en plus, c’est pas grave ! Surtout que nous avons tourné vers le
Nord-Est. Le vent nous pousse. Nous passons de 26 km/h à 35 km/h. Et c’est là
qu’est le danger. Une trop grande euphorie qui nous pousse à vouloir aller vite.
Toujours plus vite !
C’est
Philippe qui commence. Christian n’est pas en reste. Moi, je me contente
d’essayer de suivre. Et finalement, comme souvent, c’est Eric qui est le plus
fort. Inusable. Moi, je suis lâché. Je trouve une excuse : j’ai passé les deux
mois de l’été à faire du vélo en famille à 15 à l’heure à Saint Malo, en Irlande
et à Saumur (à la semaine familiale de la FF vélo). Mais en fait, c’est parce que
je suis fatigué !
La
fin du rallye
A l’entrée
de Dourdan, nous nous retrouvons tous sauf... Thierry qui arrivera quelques
minutes plus tard. Dans les rallyes, ce qui est bien, c’est qu’on n’est jamais
tout seul lorsqu’on perd son groupe.
A
l’arrivée, je ne fais pas la queue pour gagner un lot. Je n’en ai pas besoin.
Par contre, je me dirige vers les sandwichs car j’ai très faim !
Nous
discutons ensemble de cette matinée. Il y a toujours beaucoup de satisfaction
dans les propos.
Et voilà
l’organisateur qui prend le micro pour distribuer les récompenses. Comme si on
avait vraiment besoin de cela ! Avec tout ce que nous avons vécu pendant cette
randonnée, les coupes font vraiment dérisoires.
D’ailleurs, à l’appel des clubs, nous nous apercevons que beaucoup sont déjà
partis sans leur récompense !
Nous
sortons. Et qui voyons nous ? Jean-Guy et sa marmaille ! Trois enfants sur les
vélos et la petite dans la carriole. Il me dit que son fils Léo âgé de 5 ans a
fait les 30 km. Je sens qu’il est très heureux de tout cela. Je le comprends. Je
partage les mêmes joies avec ma femme et mes enfants.
Daniel CLERC |