L’augmentation spectaculaire du nombre
de cas d’allergies et d’asthme mobilise de nombreux scientifiques en
Europe. Après "La fabrique des pandémies", Marie-Monique Robin
relaie leurs travaux sur le rôle bienfaiteur des microbes pour le
système immunitaire, notamment des plus jeunes.
Depuis les années 1960, la prévalence
des maladies dites "atopiques", comme les allergies (au pollen, à
certains aliments), l'asthme ou encore l'eczéma, a doublé tous les
dix ans dans les pays industrialisés. Il y a cinquante ans, 5 % de
leur population en souffrait contre 35 % aujourd'hui. Pourquoi ? La
réalisatrice Marie-Monique Robin a interrogé une vingtaine de
chercheurs de premier plan – allergologues, pédiatres, immunologues,
biologistes, écologues… – en Europe, en Afrique et en Asie. Pionnier
dans la recherche sur les causes de l’augmentation spectaculaires
des maladies inflammatoires, Tari Haahtela a conduit sur vingt ans
une étude comparative dans la province finlandaise de Carélie du
Nord, où le mode de vie s’est occidentalisé après la Seconde guerre
mondiale, et dans le territoire voisin ex-soviétique de la
République de Carélie, où l’agriculture familiale de subsistance a
longtemps dominé. En Russie, l’asthme et les allergies sont
pratiquement inexistants, alors que de l’autre côté de la frontière,
ces maladies n’ont cessé de progresser. Ce chercheur a développé
ainsi ce qu’il nomme "l’hypothèse de la biodiversité", selon
laquelle "le contact avec les microbes de l’environnement –
bactéries, virus et parasites – enrichit le microbiote intestinal et
renforce le système immunitaire, en protégeant des maladies
inflammatoires comme les allergies, l’obésité ou la maladie de Crohn".
"L’effet de la ferme" La pédiatre
allemande Erika von Mutius, elle, a mené simultanément un programme
de recherche dans les zones d’élevage traditionnel de cinq régions
européennes, dont la Bavière et la Franche-Comté. Baptisée "Pâture",
cette étude exceptionnelle, qui a suivi 200 enfants de leur
naissance à leur majorité dans chacun de ces territoires, montre que
l’exposition précoce aux microbes de l’étable et la consommation de
produits au lait cru constituent de puissants facteurs de
protection. Cet "effet de la ferme", comme l’appelle Erika von
Mutius, a également été observé dans les communautés Amish des
États-Unis. De son côté, la parasitologue hollandaise Maria
Yazdanbakhsh a constaté que l’infection des jeunes enfants par les
vers intestinaux renforce leur système immunitaire, comme l’ont
observé le virologue Gaël Maganga au Gabon et l’écologue Serge
Morand en Thaïlande. "La biodiversité – animale, végétale et
microbienne – constitue le pilier de la santé planétaire", résume
l’Autrichien Michael Wagner, qui dirige un pôle de recherche sur les
interactions entre les microbiomes (ou ensemble des microbiotes)
environnemental et humain. À l’instar de ses collègues, il invite
les politiques à repenser notamment l’aménagement des espaces
urbains en améliorant le contact des enfants avec la nature : alors
que le traitement de l’asthme et de l’allergie au pollen coûte
quelque 150 milliards d’euros par an aux pays de l’UE, cette même
somme permettrait d’y végétaliser chaque année 750 000 cours de
récréation. |